Ukraine : le coup de canif de Zelensky dans la lutte anticorruption «laissera des traces durables»

Volodymyr Zelensky ressort affaibli de sa tentative de saper l’indépendance de deux instances anti-corruption ukrainiennes. S’il a fini par faire volte-face, ce fut notamment après l’intervention de la présidente de la Commission européenne. Dans ses colonnes, l’agence américaine Bloomberg estime que ce «faux pas» de Zelensky «laissera des traces».
« Que faire de lui maintenant ? », s’interroge ce 28 juillet un chroniqueur de Bloomberg. Si celui-ci ne tarit pas d’éloges à l’endroit de cet « humoriste devenu chef de guerre churchillien », cet ancien chef du bureau d’Istanbul du Wall Street Journal estime néanmoins que sa récente tentative de faire passer sous le contrôle du pouvoir deux agences anticorruption « laissera des traces durables, tant ses motivations étaient transparentes ». « L'armure héroïque de Zelensky a volé en éclats », a estimé Bloomberg, pointant du doigt un « faux pas ».
Même son de cloche du côté de la presse française, où le quotidien Libération estimait le 25 juillet que cette « affaire laissera des traces ». Challenges titrait, de son côté, sur « l’énorme erreur » de Zelensky. En toile de fond : la récente tentative du palais Mariinsky – sous couvert de lutte contre l’ingérence russe – de saper l’indépendance du Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption (NABU) et du Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAP), deux entités considérées par la Commission européenne comme des pierres angulaires de la lutte contre la corruption en Ukraine.
Les événements s’accélèrent lorsque le Parlement ukrainien (la Verkhovna Rada, ndlr) adopte, le 22 juillet, à une très large majorité (263 voix pour, 13 contre et 13 abstentions), un projet de loi plaçant le NABU et le SAP sous le contrôle direct du parquet, lui-même subordonné au président. Le texte est promulgué dans la foulée par Volodymyr Zelensky.
Dans les heures qui suivent, des Ukrainiens descendent dans les rues de plusieurs villes, dont Kiev, bravant le couvre-feu, afin de protester contre cette initiative de l’exécutif. Une situation inédite depuis l’éclatement du conflit avec la Russie en février 2022. « L'infrastructure anticorruption fonctionnera. Simplement, sans l'influence russe – tout doit être [débarrassé] de cela », s’est justifié sur Telegram Volodymyr Zelensky, dans la nuit du 22 au 23 juillet.
Appel de von der Leyen et volte-face de Zelensky
Mais, le lendemain, la cheffe de la Commission européenne – qui envisage de mobiliser jusqu’à 100 milliards d’euros supplémentaires en faveur de l’Ukraine – appelle directement Volodymyr Zelensky. « La présidente von der Leyen a fait part de ses vives inquiétudes quant aux conséquences des amendements et a demandé des explications au gouvernement ukrainien », a indiqué, le 23 juillet, un porte-parole de la Commission. S’ensuit alors un revirement du locataire du palais Mariinsky.
« Aujourd’hui, mon projet de loi est déjà déposé à la Verkhovna Rada d’Ukraine, concrétisant ainsi ma promesse – en faveur de la justice, des forces de l’ordre et des agences anticorruption », a-t-il déclaré sur X dès le lendemain de ce rappel à l’ordre de Bruxelles. « Il garantit pleinement l’indépendance des agences anticorruption. Il offre de réelles possibilités de vérification, afin d’empêcher toute ingérence russe », avait ajouté Zelensky dans ce message. Auprès de journalistes, il assure avoir « répondu » à la rue.
« Nous partageons la même vision : il est important que le projet de loi soit adopté sans délai, dès la semaine prochaine », a-t-il réaffirmé trois jours plus tard, toujours sur X, dans un message faisant état d’un nouvel échange avec Ursula von der Leyen portant – notamment – sur le « projet de loi garantissant l’indépendance et l’efficacité des organismes ukrainiens de lutte contre la corruption ».
Lutte anticorruption en Ukraine : « Où sont les résultats ? », interpellait Poutine
Le Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption a été créé en 2015, en réponse à une exigence du Fonds monétaire international (FMI). Le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption avait vu le jour la même année, notamment afin de soutenir et superviser les enquêtes lancées par le NABU, et ce en toute indépendance du procureur général d’Ukraine.
« À la demande de l’Occident, les autorités de Kiev ont accordé aux représentants des organisations internationales le droit préférentiel de sélectionner les membres des plus hautes instances judiciaires », avait blâmé le président russe Vladimir Poutine, lors d’une allocution télévisée, le 21 février 2022.
« En outre, l’ambassade américaine contrôle directement l’Agence nationale pour la prévention de la corruption, le Bureau national de lutte contre la corruption, le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption et la plus haute cour de justice chargée de la lutte contre la corruption », avait-il ajouté, s’interrogeant : « Où sont les résultats ? »